Voici la deuxième partie de ma série des expressions irritantes intitulée "les mots qui tuent la relation client". Une phrase malheureuse, un mot de trop, une maladresse dans l'expression verbale trahissent par la bouche d'une personne l'organisation ou résume la culture d'entreprise... A vous de juger !
Un billet écrit par Thierry Spencer, auteur du blog Sens du client et Directeur Associé de l'Académie du service.
- "Il faudrait regarder sur internet". Aveu de faiblesse, manque de temps ou de moyens, l'interlocuteur n'a pas les mêmes capacités que le client et répond par cette phrase. Le client pose une question sur une adresse, un point technique ou une quelconque information pointue et difficile à trouver, et il est renvoyé vers un autre canal et comprend naturellement "je n'ai pas que ça à faire" ou "je ne suis pas capable de répondre ou de vous aider". Cette formule trahit l'absence de Symétrie des équipements ou des capacités, comme j'ai pu l'évoquer sur ce blog. Le client se sent abandonné et renvoyé à sa solitude face à une personne qui, trop souvent, ne maîtrise pas cette partie du parcours client ; il ne connait pas le propre site de son entreprise, n'y a pas accès lui-même ou bien ne saurait pas indiquer ou trouver la bonne information et rendre le client plus autonome.
- "Il ne faut pas croire ce qu'on lit sur internet". Si cet adage en miroir du précédent convient dans la bouche d'un enseignant qui aura à cœur d'apprendre à ses élèves comment trouver des informations fiables (et encore...), il est plus étonnant de la part d'un vendeur ou d'un conseiller qui met en doute vos informations de façon maladroite. C'est d'autant plus grave si l'information provient du site de l'entreprise à laquelle appartient l'auteur de ces "mots qui tuent". Le client qui aura passé des heures à faire une recherche sur la toile pour échafauder son projet, comprendre un sujet complexe ou comparer les avis consommateurs ne comprend pas qu'on remette en cause ses capacités ou sa bonne volonté. Une bonne pratique -mise trop peu souvent en oeuvre- est de chercher avec le client, commenter avec lui les résultats pour enrichir ses connaissances.
- "Il faudrait écrire au siège / au service client / au service réclamation". C'est sans doute l'une des phrases que j'ai pu entendre le plus grand nombre de fois dans mes expériences de client lorsque j'ai voulu formuler une réclamation. Cette expression apparaît dans plusieurs situations : mon interlocuteur me demande de faire preuve de compassion pour lui et me demande de l'aide pour résoudre un problème qui l'affecte, et je comprends alors sa réponse. Il peut également être sans moyen de résoudre mon problème ou collecter ma plainte, ou bien encore -et c'est la pire situation- il me fait comprendre que ce n'est pas son problème et que "je n'ai qu'à écrire si je ne suis pas content".
- "Ah ! Quel dommage !" ou bien "Oh, ben ça c'est ballot !". Imaginez, vous avez acheté une voiture à 30.000 euros et vous prenez rendez-vous avec le garage de la marque, le lieu de votre achat initial. Le problème de votre voiture est théoriquement couvert par la garantie mais cette dernière vient d'expirer il y a quelques jours seulement. Il y a quelques années, je me suis trouvé dans cette situation et le garagiste n'a rien voulu entendre. Il a ajouté la phrase qui tue ci-dessus ("Il faudrait écrire au siège") avant de dire "moi je ne peux rien faire et je ne veux pas prendre la réparation à ma charge". Je me suis trouvé dans la situation irritante de n'être qu'un numéro de série malchanceux, une pauvre victime de la panne. Qui plus est, la marque se transforme en hydre à deux têtes : le méchant constructeur et le faible concessionnaire. Inutile de vous préciser que j'ai réussi à avoir gain de cause, ce qui a coûté cher au constructeur en temps passé à gérer le problème et au concessionnaire en fidélité d'un de ses clients. Cette situation se produit tous les jours pour des milliers de clients pour des achats plus ou moins importants. Accepter une prolongation de quelques jours d'une garantie ne coûte pas si cher à une marque, et a un effet puissant sur le client, par l'effet de la bienveillance témoignée.
- "Vous n'êtes pas le premier à me dire ça" est un terrible refrain entendu en réponse à une remarque d'un client sur un problème récurrent. "Il fait chaud dans votre magasin", "les étiquettes sont illisibles", "Ça fait un quart d'heure que j'attends au téléphone", "Vous n'avez plus ce plat sur votre carte ?", sont autant de petites contributions du client à l'amélioration d'un service ou d'un produit. Malheureusement, la voix du client se perd quelque part dans l'organisation, tombée entre deux silos, ou bien la personne qui va recueillir l'avis spontané du client n'a pas les moyens de répondre. C'est d'autant plus frustrant que les clients qui s'expriment sont de bonne volonté pour la plupart et seraient heureux de contribuer à leur façon à l'amélioration de leur expérience.
- "C'est pour quoi ?" est une expression qui traduit le manque de concentration de votre interlocuteur ou au mieux son sens de l'humour. C'est une façon maladroite de commencer une relation avec un client lorsqu'on veut l'aider. Tout le monde pense à son entrée dans un restaurant à l'heure du déjeuner et à l'accueil légendaire du serveur par cette phrase. De nombreuses réponses plus ou moins humoristiques viennent alors à l'esprit du client, au guichet d'une administration, d'un hôpital, d'un lieu de service ou d'un magasin. Le client est concentré sur son besoin, sa question, son rendez-vous et le "C'est pour quoi ?" l'éloigne d'une relation personnalisée et intense.
- "C'était pourtant écrit (ou communiqué)" peut se comprendre lorsque effectivement c'est écrit en très grandes lettres sur un poster de deux mètres de haut ou répété sur un message d'attente, ce qui est finalement assez rare. Dans le cas d'une promotion, le client n'a pas lu l'astérisque qui précise "hors produit de telle gamme" ou "de telle à telle date". Dans toute transaction, il y a des conditions générales de vente qui sont accessibles mais le client ne les lit pas et la transparence du vendeur s'impose pour bien faire comprendre au moins les conditions essentielles. L'interlocuteur se réfugie derrière la règle légitimement, et le client se sent trompé ou idiot. Il y a de bonnes façons de faire comprendre à un client qu'il a mal compris ou mal lu, et pour améliorer cette situation qui génère une perte de confiance du client, rien de tel que de favoriser la remontée des feedbacks des collaborateurs qui savent mieux que quiconque détecter les incompréhensions du contrat et de la communication commerciale.
- "Je ne peux pas vous dire" est pénible à entendre pour un client alors que la plupart des informations sont disponibles aujourd'hui. Date de livraison, date de fin de réparation, arrivée du réassort, fin de la promotion, stock restant... des informations utiles au client pour s'organiser ou décider d'un achat. Rien de pire que l'inconnu, l'absence de visibilité qui génèrent une certaine angoisse pour les clients. L'essentiel dans cette situation est de rassurer le client ou lui faire partager les contraintes de la situation. Anne, lectrice de mon blog, après avoir découvert la première liste des "mots qui tuent" me suggérait sur Twitter "on en a eu, on en aura", qui est une superbe variante de la phrase "je ne peux pas vous dire".
- "C'est de sa/leur faute" démontre une absence totale de respect et de solidarité entre les employés d'une équipe. Le caissier ou la caissière qui vous dit "c'est de la faute du vendeur en rayon", le commercial de la concession qui dit "l'atelier s'est encore trompé", ou le serveur qui déclare un subtil "mais qu'est-ce qu'ils ont encore fait en cuisine ?" (entendu récemment). La solidarité est difficile à vivre dans les grandes organisations telles que les banques ou les compagnies d'assurance parfois ("le siège a refusé votre dossier", "c'est le service remboursement qui est en retard", "c'est la faute de l'informatique",...), et dans toute entreprise qui compte des canaux, des services, des directions et des équipes distantes, c'est une pathologie connue. Cette situation est certainement aussi difficile à vivre pour l'employé en contact que pour le client. Elle traduit fréquemment l'absence de liberté donnée au collaborateur pour résoudre le problème lui-même ou pour faire remonter le dysfonctionnement à ses partenaires.
- "Ce n'est pas un bon produit". Vous avez peut-être vécu la scène dans votre cuisine inondée un samedi matin avec un réparateur venant du magasin où vous avez acheté votre lave-linge. Il est agenouillé avec ses outils et peste à voix haute devant vous, client naïf qui a suivi les conseils du vendeur quelques mois plus tôt. C'est tout le contrat de confiance que vous avez passé avec la marque qui s'effondre en quelques secondes. On apprécie la franchise d'un ami, d'un autre client ou d'un vendeur exigeant, on avale moins facilement d'entendre le fait qu'on a fait une erreur dans ses achats. Généralement, c'est une phrase qu'on entend de la bouche de ceux qui gèrent maladroitement l'après-vente et à qui on ne donne pas les moyens de réparer le préjudice subi par le client, ou au moins d'atténuer sa déception par des mots justes.
Les mots justes ne sont pas toujours faciles à trouver pour chaque situation et personne n'est à l'abri d'un mot qui tue. Une personne qui gère au quotidien la relation avec des clients, des patients ou des usagers devrait être aidée dans sa façon de communiquer les bonnes ou les mauvaises nouvelles. Le langage reflète la tension d'une situation, l'état d'esprit d'une personne mais aussi d'une équipe ou d'une entreprise. Les mots qui tuent sont le fait de personnes bien trop seules dans leur métier, à l'abri des feedbacks des collègues ou des managers, pas soutenues ou pas encadrées. Les mots qui tuent la relation client à répétition sont le témoin d'une expérience client qui n'a pas été pensée tout simplement.
Avez-vous lu le précédent billet avec les 10 premiers mots qui tuent la relation ?
Avez-vous lu le précédent billet avec les 10 premiers mots qui tuent la relation ?
1 commentaire:
Article excellent.
Je vais en faire une vulgate.
Merci
Enregistrer un commentaire