02 août 2015

Le client n'est plus roi, un débat à l’Île Maurice

Le client n'est plus roi, c'est ce qu'affirme le journal Mauricien Capital, un titre plutôt étonnant quand on connait la qualité de l'accueil de cette île de l'océan indien. En séjour sur place il y a quelques mois, je n'ai pas pu m'empêcher d'acheter ce journal local qui a éveillé ma curiosité.
Les Français représentent la première nationalité parmi les touristes de l'Ile Maurice avec plus de 380.000 de nos compatriotes (dont 140.000 de la toute proche Réunion) recensés en 2014 (chiffres Ministère du tourisme mauricien). Les touristes originaires d'Asie sont le deuxième grand groupe avec 158.000 personnes, en hausse de plus de 19%, suivis des britanniques (115.000) et des allemands (62.000 touristes en 2014).
La barre du million de touristes a été franchie en 2014, soit presque autant que d'habitants sur cette île. Le secteur des services pèse pour 73% du PIB et 65% des emplois, c'est dire à quel point le tourisme est important pour les Mauriciens.

Un article virulent
L'auteur de cet article pour le moins provoquant, se désole de "l'absence de courtoisie", du "manque de politesse" des employés des entreprises et fustige des services publics n'ayant pas l'esprit de service. Il trouve les racines de ce mal dans "l'éducation inculquée aux jeunes" et la "transmission des valeurs" qui serait reléguée.
Selon le journaliste "de nombreux jeunes émergent du cycle scolaire en n’ayant qu’une vague notion de savoir-vivre et du relationnel, deux éléments cruciaux dans le secteur des services".
S'attaquant à la formation et à l'état d'esprit des jeunes, il reconnait tout de même que "la notion de service (est) plus ou moins bien ancrée".
Comme en écho à cet article, une interview est accordée à Dhiruj Ramluggun : Directeur de la formation et du développement à la MEF (l'équivalent de notre MEDEF). Il déclare :
"On peut être critique, mais il faut quand même accepter que l’amabilité, l’accueil et le dévouement du Mauricien sont légendaires. Critiquer gratuitement n’apportera rien. Critiquer parce qu’on accepte de se remettre en question pour s’améliorer, pour viser la perfection, là je dis oui".

Les points de vue des locaux
En discutant avec des locaux (serveurs, chauffeurs de taxis...), j'ai pu ajouter à ma lecture quelques points de vue utiles :
  • Le secteur du tourisme est en croissance et il est parfois difficile de trouver une main d'oeuvre qualifiée et motivée, notamment chez les jeunes, davantage attirés par d'autres secteurs en croissance, celui des prestataires de service informatique ou des centres de relation client, quand ils ne cherchent pas à quitter leur pays...
  • Il y aurait en effet un changement de mentalité chez certains mauriciens, lassés de servir des touristes négligents et peu respectueux de l'île et de ses habitants à leur service. Les jeunes seraient moins sensibles à l'enjeu du tourisme et auraient en effet perdu un peu des valeurs caractéristiques des Mauriciens.
Les enjeux du tourisme de masse
De mon point de vue de touriste et de professionnel de la relation client, plusieurs réflexions me viennent :
  • L'Ile Maurice bascule depuis quelques années dans le tourisme de masse. Comme dans toute configuration de ce genre, l'expérience du touriste y est souvent détruite par les autres touristes eux-mêmes. J'avais à ce sujet écrit il y a quelques mois un billet intitulé "le client premier destructeur d'expérience". Pour illustrer ce point, une étude de Zoover de 2013 faite auprès de 12.000 vacanciers nous révèle que les Russes, les Allemands et les Anglais seraient les plus agaçants. J'en ai fait l'amère expérience et ma tolérance a été mise à rude épreuve. L'enjeu pour les Mauriciens est bien de gagner en maturité sur la gestion des diverses populations, alors que les autorités locales veulent accueillir davantage de russes (lire l'article à ce sujet).
  • Dans un des hôtels où je logeais, j'ai pu observer que l'établissement venait de changer son concept. Il venait d'abandonner le "all inclusive" pour un niveau de service supérieur. Ce concept de "all inclusive", symbole du tourisme de masse, se marie difficilement avec une très bonne expérience, et cet hôtel de grande taille en gardait chez les employés et chez certains clients encore, quelques stigmates. Les clients participent à l'expérience, mais le concept d’hôtellerie le conditionne.
  • En conclusion, pour avoir fait 3 séjours sur cette île, j'estime que le niveau de service y est vraiment supérieur à la majorité des destinations touristiques, et que les Mauriciens ont sincèrement à cœur de bien accueillir les touristes. Le débat lancé par cet article nous montre la sensibilité des locaux aux enjeux de la qualité de service d'une part, et leur niveau d'exigence d'autre part. Avec 80 fois plus de touristes en France, je formule le vœu que nous ayons cette même sensibilité et ce même niveau d'exigence (en France métropolitaine comme dans les départements et territoires d'outre-mer). Mon optimisme naturel me fait dire que nous ne manquons pas de ressources ni d'ambition. Il suffit pour s'en convaincre d'observer les travaux de l'association Esprit de service France du mois de juillet sur l'accueil des visiteurs étrangers venant à Paris, l'étude annuelle de l'Académie du service sur "les Français et les services" ou encore les initiatives de l'Institut National de la Relation Client.
Billet écrit par Thierry Spencer, auteur du blog Sens du client et Directeur Associé de l'Académie du service. 

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