On dit le client au coeur des préoccupations des entreprises, le voilà dans les signatures de marques. En voyant toutes ces nouvelles campagnes de publicité, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à la chanson du groupe Téléphone « Ça, c’est vraiment toi ».
« Coca Cola Light, vraiment moi-même », « Agatha c’est moi », « Cleor, c’est vous » « Krys, Vous allez vous aimer », « Avec B for bank, mon banquier, c’est moi » « Yahoo, it’s you ! », j’avoue avoir été très flatté que tout ce monde pense à moi, me mette en scène, m’interpelle et me donne autant de responsabilités en tant que client. De quoi en avoir le tournis !
Ces exemples récents ne sont qu’un échantillon assez représentatif de ce que l’on peut qualifier de tendance. J’avais déjà, il y a plus de trois ans, inauguré un recueil de signatures savoureuses de marques qui se distinguaient par leur similitude avec la formule « bien plus que » (lire mes billets de 2006, 2007 et 2008). Vous noterez que l’enseigne de bijouteries française Cléor (49 boutiques) nous sert aujourd’hui de fil rouge entre les deux billets avec sa signature « Bien plus que des bijoutiers » et l’accroche de sa campagne « Cléor, c’est vous ». Comme toute tendance, elle est dans l’air du temps et se diffuse à grande vitesse sur la planête, de l'enseigne française de bijoux au géant de l’internet mondial qu’est Yahoo.
Dans le cas de Coca Cola light on peut comprendre que la volonté est d’accentuer la segmentation du marché en associant le light aux femmes et le coca zéro aux hommes. Ce qui explique le visuel avec une femme, principal mouvement stratégique de la marque en ce moment. Quant à la signature, elle suggère davantage une « attitude ». « Je me colle à la vitre en faisant la folle : non je ne suis pas teubé ou stone, je bois du Coca light !». Rien de spectaculaire pour le soda leader mondial : une belle campagne propre. Ce qui fait fatalement réagir l’observateur que je suis, c'est de voir cette publicité à côté de celle d’Agatha, la même semaine. Et quand on se met à penser à quelque chose, on en voit partout (les ventres ronds semblent se multiplier autour des femmes enceintes par exemple, les voitures cabriolets pour les hommes qui pensent à en acheter une).
Agatha joue le registre de l’identification et de l'appropriation, tordant un peu le prisme d’identité de Jean-Noël Kapferer pour fusionner le reflet et la mentalisation. Tout comme Cleor, ces marques prennent le risque de présenter une image peu aspirationnelle pour le client (sous entendu, là où on attend des mannequins vedettes, on a des instantanés de clientes). A noter le dispositif d'Agatha qui renforce cette idée avec concours et affiches évenementielles. En segmentant, elles font tout ce que tout bon marketer doit faire. En présentant une image qui pourrait ne pas être la bonne, elles prennent le risque de tomber complètement à côté (ou en dessous).
Rien à voir avec les astucieuses campagnes de Comptoir des cotonniers avec mère et fille ou le "me-too" The Kooples avec filles et garçons en couple hétéro ou homo. L’identification et la mise en scène du client sont devenues (le très bon) concept publicitaire.
BforBank, nouvelle filiale « à distance » du Crédit agricole, a choisi d’y aller à fond dans l’identification pour son lancement en presse et à la télévision. « J’ai plus de 45 ans, j’ai un patrimoine, je suis très éduqué(e), je surfe sur Internet, je n’ai pas envie de rire, j'en ai marre d'être un client lambda au guichet, j’ai des lunettes écaille et un pull couleur taupe confort mais chic » (tel est l'insight que je traduis de manière drolatique pour les lecteurs non marketers). La signature «Mon banquier, c’est moi» illustre à merveille cette campagne qui nous rappelle que le premier bienfait d’Internet a été de donner le pouvoir au client à tel point qu’il peut prétendre faire tout tout seul (ce qui arrange un peu tout le monde, comme le suggère Marie-Anne Dujarier dans son livre Le travail du consommateur).
Avec toute cette mise en scène autour du « vous » ou du « moi », on devine que la tendance du moment est bien celle du client qui devient la vedette des publicités, orientation illustrée à l'extrême par Krys et son «Vous allez vous aimer» (réussi car en phase avec le positionnement). Notons que cette vague de signatures n'est pas nouvelle et il faut ajouter à ce nouveau Panthéon du mimétisme les anciennes signatures : "RTL, c'est vous", "Ebay.fr, c'est vous", "Casino, c'est bien parce que c'est vous", "Marionnaud, ce qui est unique chez nous, c'est vous"...
Jean-Luc Gronner, le spécialiste de la signature de marque et son excellent site « souslelogo.com », que j'ai sollicité pour ce billet, me confiait à propos de ce phénomène : « Il me semble que ces signatures ne viennent pas par hasard : toutes traduisent la volonté des marques de replacer le client / consommateur au centre de leur stratégie, et à l’heure des réseaux sociaux et du web communautaire, c’est une invitation à ce que ces mêmes utilisateurs co-créent la marque, et créent le contenu de la marque (c'est le "user generated content"). En ce sens toutes sont emblématiques de la période que l’on vit où l’internet renverse le lien habituel marque-client. ».
Le créateur de souslelogo me faisait par ailleurs remarquer à propos de Yahoo que la signature d’origine était « Do you Yahoo ? » au moment ou l’humanité faisait ses premiers pas sur la toile en 1999 et qu’elle s’est transformée en « Yahoo it’s you » quand elle s’est approprié son nouveau joujou.
L'histoire de cette signature est bien le symbole de ce mouvement de prise de pouvoir par le consommateur et de renversement des rôles dans le rapport qu’il entretient avec les marques depuis 10 ans.
"Ca se sent que c'est toi !" comme dirait le groupe de rock français.
Ces signatures de marque doivent nous rappeler que, s’il est important de mettre le client au centre de tout, il est indispensable de lui faire une proposition valable composée d'une promesse qui ne soit pas vide de sens et de preuves tangibles. Les marques ne doivent pas abandonner leurs responsabilités sur leur positionnement, au risque de voir leurs clients les quitter, même si elles ne parlent que de client dans leur communication.
Billet rédigé par Thierry Spencer pour le blog du Sens du client avec l'aide de Sous le logo
1 commentaire:
Vianney me signale la nouvelle campagne de HTC "you need a phone that gets you" à voir sur le blog http://www.fubiz.net/2009/11/02/htc-you-campaign/
Enregistrer un commentaire