A quelques jours de l’arrivée de Netflix (fournisseur de contenu en flux continu (streaming) sur Internet) en France, je ne peux m’empêcher de considérer le point de vue du client pirate, son expérience, son profil et en tirer des enseignements.
Nous vivons certainement une période de transition dans la consommation de contenus culturels. De grandes batailles économiques s’annoncent entre les propriétaires, les diffuseurs, les auteurs et les pouvoirs publics, et pendant ce temps, les clients que nous sommes sont confrontés à une réalité surréaliste en attendant une offre satisfaisante.
L’expérience du client pirate
Abordons en introduction l’expérience du client qui veut voir un film ou une série à son domicile quand il le souhaite (j’exclus le passage à la télévision, « l’ancêtre d’Internet » comme disent les guignols de Canal Plus).
- Première solution : il achète le DVD (15,6 euros en moyenne) ou le Blu-ray (21.9 euros) du film sorti il y a quatre mois. Il devient propriétaire du support -pour une somme qu’il juge considérable- et glisse fièrement le disque dans son lecteur. Après les mentions légales dans toutes les langues, il est parfois puni par le visionnage obligatoire d’un spot qui lui dit que télécharger illégalement un film est répréhensible. Comme des millions de personnes, je m’exclame à ce moment « c’est quand même invraisemblable de me faire subir ce spot, pourquoi ne pas diffuser à ce moment un spot pour me remercier d’avoir payé ? ». Puis, il doit souvent passer quelques instants d’apprentissage du menu sophistiqué, sans jamais être certain que son choix version originale et sous-titres en français est bien pris en compte par le fait qu’il a pu revenir plusieurs fois sur le menu principal, passer toutes les langues, de l’espagnol au slovène.
- Deuxième solution : le visionnage en Video à la demande. Le porte-monnaie se porte beaucoup mieux tout à coup car le film coûte 3 à 4 fois moins cher à voir. On perd considérablement en choix, en qualité de son et d’image, et on ne peut voir son film que pendant 24 heures.
- Troisième solution : il ouvre son ordinateur et commence à taper « Game of thr… » et Google propose « Game of thrones saison 4 episode 8 VOSTF ». Rappelons que 60% des internautes ont déjà téléchargé un contenu illégal, et que le profil type, comme le rappelle la Président d’Hadopi est « Monsieur tout le monde ». En quelques minutes, pour peu qu’il soit capable de distinguer les sites qui vont le bombarder d’annonces de charme, de téléchargements parasites sur son ordinateur et les autres plus sûrs, un autre internaute va lui proposer un lien de teléchargement ou de streaming illégal sur un media social, forum ou réseau social, -principale source d’information des pirates selon l’étude du CSA de novembre 2013. Il pourra regarder le film de son choix quelques heures après sa sortie ou sa diffusion, sous titré dans sa langue par une communauté de traducteurs sympathiques. Et tout cela gratuitement.
- Quatrième solution : il le télécharge ou il le reçoit en cadeau d’un ami bienveillant dont les disques durs sont plus fournis qu’un video club des années 90. Avec un peu de connaissance des bonnes sources, un bon équipement et de la patience selon son débit, le client pirate pourra télécharger son film, en devenir propriétaire, le visionner quand il le veut et mettre sur la clé USB de ses amis l’intégrale d’une saison (comme 56% des consommateurs, toujours selon le CSA).
Le client pirate apprend à contourner. Il prend l’habitude de contourner les obstacles auxquels il fait face dans son parcours. Il va, en tant que client pirate, tirer une certaine satisfaction de son apprentissage, il est même fier d’avoir trouvé la combine, la « soluce » comme disent les amateurs de jeux video.
Le client pirate veut du choix. Certains diffuseurs se flattent d’avoir acquis les droits de diffusion et le gel de la diffusion sur d’autres supports (c’est le cas de TF1 par exemple avec la majorité de ses séries), réduisant ainsi les possibilités offertes au client et l’incitant au piratage, car le client déteste les contraintes. Nicolas Perrier rappelle sur son blog un chiffre pris sur une semaine type aux Etats-Unis : sur les 10 films les plus téléchargés du moment aucun n’avait d’offre de streaming légal. Tous les clients voudraient voir ce qu’ils veulent quand ils le veulent.
Le client pirate aime la communauté. En cherchant sa solution, en téléchargeant illégalement puis en visionnant, le client pirate découvre que de nombreuses personnes ont fait cette expérience. Parmi elles, certaines se sont investies pour l’aider ; elles ont donné leur avis, elles se sont filmées en train de résoudre un problème, elles ont traduit le nouvel épisode sorti hier pour vous rendre service. le client pirate est reconnaissant à la communauté et il se pourrait qu’il contribue lui aussi à partager son expérience pour enrichir l’expérience des autres.
Bientôt moins de pirates ?
Le descriptif que j’en fais n’est pas différent du client de n’importe quel secteur. Le client ne veut plus de contraintes, il veut profiter de l’offre de son choix quand il le souhaite, sur le lieu où il le souhaite, sur l’écran de son choix. Il choisit son fournisseur ou ses sources en fonction du bénéfice évident apporté, il apprend à trouver la meilleure solution immédiate pour lui et se fait aider par la communauté. A chaque expérience, il va s’enrichir en trouvant une façon de contourner les obstacles et résoudre les problèmes par lui-même.
Ce qui vaut pour les contenus est valable pour les produits comme pour les services. Et, contrairement à ce que l’exemple pris dans ce billet pourrait nous le laisser penser, il est prêt à payer pour ça.