06 décembre 2014

L'effrayante orientation client d'Amazon

Je me suis posté cette semaine devant l’entrée de cet immeuble à New York et j’y ai trouvé le thème de mon billet. Le «7 west 34th Street» est un immeuble à l’ombre de l’Empire State Building, acquis par Amazon pour y faire –peut-être- un magasin. A l'annonce de cette acquisition, la toile s'est enflammée et on voyait déjà l'ouverture d'une boutique pour Noël, ce qui ne sera pas le cas vraisemblablement. Mais j’ai trouvé le sujet d’autant plus amusant que j’avais écrit il y a plus d'un an un billet « poisson d’avril » sur l’ouverture d’une boutique Amazon à Paris.

Dans son édition du 20 novembre, le magazine français Challenges consacrait sa une et un dossier très complet au géant de l’ecommerce, intitulé «Amazon ose tout. Sans scrupules, sans limites.». Je dois dire que lire ce dossier dans l’avion d’aller pour la cité américaine m’a donné des idées et m’a permis, grâce à mes rencontres et discussions avec des américains, de le mettre en perspective.

Une taille impressionnante
On qualifie communément Amazon de "géant" du web, il faut dire que son chiffre d'affaires à de quoi impressionner. Avec ses 74 milliards de dollars, il représente l'équivalent de Carrefour + Auchan + Super U en France. De même, passer à côté de l'entrepôt d'Amazon à Douai, grand comme 13 terrains de football, provoque en nous une espèce de vertige. Parfois je me demande si nous n'avons pas peur de ces grandes tailles, des gros chiffres, de tout ce côté "bigger than life".

Une vision terriblement stable
Pour ceux d'entre vous qui travaillent dans la même entreprise depuis plus de 10 ans (comme 21.4% des salariés), vous savez de quoi je parle. Combien ont connu des virages stratégiques, des nouvelles visions ou autres discours incohérents des dirigeants ? On reproche souvent à Amazon son inflexibilité sur la stratégie, notamment vis-à-vis de la bourse. A la question du journaliste de Challenges à propos de son manque d'attention envers Wall Street, il répond "Il faut relire notre lettre aux actionnaires de 1997, qui définit notre démarche". Il se moque des profits et gagne des parts de marché, il avance et impose sa vision sur le long terme. "Beaucoup (d'entreprises) sont obsédées par le court terme, leur dernier trimestre" comme le souligne Jeff Bezos.
La stabilité, le courage de maintenir un cap, sont des atouts considérables et une condition de réussite.

Des innovations affolantes
En dehors des effets d'annonce sur des innovations plaisantes (la livraison par drone), il y a le fameux bouton SOS (Mayday button) -sur lequel j'ai écrit un billet l'an passé- et qui permet d'accéder à une assistance video en moins de 15 secondes 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, ou encore Amazon Dash, la télécommande pour faire ses courses depuis chez soi en scannant les produits.
"Nous sommes des explorateurs" déclare au magazine Challenges son PDG Jeff Bezos, qui parle aussi "d'amour de l'innovation".
Pour se distinguer de la concurrence et conserver une dynamique de progrès, il faut innover sans cesse au profit du client. C'est une leçon essentielle.

Un modèle social inquiétant
C'est en France qu'un journaliste infiltré a écrit "En Amazonie, infiltré dans le meilleur des mondes" (que j'ai lu) dans lequel on peut lire "Bienvenue dans le pire du « meilleur des mondes », celui qui réinvente le stakhanovisme et la délation sympathiques, avec tutoiement.". En Allemagne (deuxième marché d'Amazon), le mois dernier, les salaires et les conditions de travail poussaient les syndicats à un nouvel appel à la grève. A la lecture de ce livre et de cette actualité, je me demande s'il n'y aurait pas comme une espèce de difficulté à faire cohabiter dans notre esprit la commande en un clic et la livraison le lendemain avec des entrepôts immenses et des milliers d'employés qui s'activent à rendre le meilleur service. Le trouble issu de l'étude du modèle social est celui qu'on éprouve avec le low-cost ou le hard discount en général. On a mauvaise conscience et on se demande comment cela peut être possible. Dans ma jeunesse, j'ai fait des jobs qui me semblent tout aussi difficiles, et si je place le bien-être des collaborateurs au dessus de tout, j'ai du mal à condamner Amazon. Je me demande simplement si les conditions de travail dans les entrepôts de la distribution française sont meilleures.

Une terrible capacité à jouer avec les règles
Dans l'esprit de bon nombre d'entrepreneurs américains ou chinois, on se targue de jouer avec les règles et d'en tirer profit. Quel mal y a t-il à profiter de subventions et de conditions fiscales liées à l'implantation de son siège ? Vous saisissez que je me fais l'avocat d'Amazon et que j'essaye de défendre leur point de vue. Les considérations à propos de l'optimisation fiscale d'Amazon sont d'abord morales d'un point de vue français. Nous enrageons qu'une entreprise puisse à ce point profiter d'un système permissif et peu régulé. Pour ceux qui se plaignent de cette situation, je les invite à changer les règles. C'est ce que la commission européenne a décidé de faire.
Si l'on change les règles, Amazon saura encore jouer avec. Que ferions-nous à sa place ?

Une affolante envie d'amélioration
En visitant il y a quelques mois le siège d'Amazon en France, j'avais été frappé par le message qui se trouve au dessus de tous les tableaux blancs dans toutes les salles de réunion : "si vous remarquez un problème ou si vous avez une idée d'amélioration, écrivez à (adresse mail)". En lisant le livre "Best service is no service", dont j'avais parlé sur ce blog après avoir rencontré son auteur Bill Price (le premier Vice Président en charge de la relation client chez Amazon), j'avais compris cette obsession de l'amélioration permanente du service rendu au client. C'est une leçon essentielle à retenir de l'étude d'Amazon. Amazon met à profit tous les enseignements, tous les retours issus des clients, chaque petite idée d'amélioration est mise à profit, transmise, étudiée et implémentée. Quand j'observe dans bon nombre d'entreprises françaises le peu de considération pour la voix du client, les réclamations, les suggestions d'amélioration, je me dis qu'il y a encore une leçon à retenir.

Un redoutable focus sur l'expérience
"Nous nous concentrons vraiment sur l'expérience du client sur le long terme". déclare Jeff Bezos à Challenges. Alors qu'on parle tous de réduire l'effort du client, il suffit de songer à son expérience d'achat et de retour d'un produit sur Amazon pour y comprendre le modèle. On est souvent bluffé en tant que client par la fluidité du process de commande. La page qui explique comment retourner un produit, quant à elle, tient en quatre dessins. Amazon connait et maîtrise les moments de vérité du client.
Jeff Bezos est un obsédé de l'expérience, un homme qui a donné à son entreprise la culture de l'excellence dans la relation. Il a inventé avec son équipe des outils et des algorithmes qui automatisent la plupart des fonctionnalités, réduisent les obstacles et sont conçus pour s'alimenter de l'expérience du client. Les process de l'entreprise, son système d'information, les outils donnés aux collaborateurs permettent de délivrer une expérience au dessus des normes. Et c'est redoutablement efficace.

Une capacité terrible à générer la confiance 
En lisant le livre "les secrets de la réussite de Jeff Bezos", j'ai appris à quel point il a du batailler il y a vingt ans pour imposer les avis consommateurs aux éditeurs sur son site. L'expression publique du client est un bénéfice pour le client lui-même et pour les commerçants. Pour avoir travaillé personnellement dans ce secteur et avoir initié la norme NF des avis en ligne, je sais que nombre de professionnels de l'e-commerce n'ont toujours pas compris les vertus de cette démarche génératrice de confiance, vingt ans après Amazon !
Que dire, lorsqu'il y a quelques mois, j'ai revendu à Amazon des livres scolaires et reçu 3 jours plus tard un email qui m’annonçait que je m'étais trompé dans l'évaluation de l'état des livres ? Amazon m’annonçait qu'ils valaient plus et qu'ils me créditaient de dix euros de plus... Certains d'entre vous ont vécu ce moment délicieux lorsque vous réclamez à propos d'un livre en retard ou défectueux et qu'on vous répond immédiatement "gardez le, nous vous l'offrons".
Amazon est le champion de la confiance et il fait tout pour la faire naître à chaque interaction.


Tout cela peut sembler effrayant, selon qu'on est un concurrent qui se plaint de méthodes discutables ou un citoyen attentif. Ce que je retiens d'Amazon, c'est tout d'abord la réussite d'une entreprise dont le credo est l'orientation client depuis 20 ans. Elle est autant fantastique qu'effrayante par sa capacité à délivrer une expérience très au dessus des standards du marché. Elle est autant remarquable qu'impressionnante par son exigence, une vertu dont la plupart des entreprises manquent cruellement lorsqu'il s'agit de relation client.
Amazon est une source d'inspiration pour les professionnels de la relation client, et à bien des égards admirable.

3 commentaires:

Lylo a dit…

Amazon cultive le pire du pire de plus en plus ces derniers temps et cela ne va pas du tout en s'arrangeant. Je pense qu'ils ont perdu contact avec la réalité.

Tom a dit…


d'accord avec toutes ces choses assez classiques dites (et redites partout!) sur Amazon. Par contre ce serait intéressant d'être plus précis (exemples,...) lorsqu'il est question d' "entreprises manquent cruellement lorsqu'il s'agit de relation client."

Anonyme a dit…

sur un blog "sens du client", bloquer (ou au moins ne pas publier) les commentaires, c'est pour le moins... curieux!