Un peu perdu au milieu des touristes asiatiques, je m'adresse à une vendeuse de la boutique CHANEL avenue Montaigne pour faire mon achat de maroquinerie. A la caisse, je m'étonne de l'affreuse et inélégante banane en cuir autour de sa taille et, lorsqu'elle se place derrière son écran pour me poser la question "êtes-vous client CHANEL ?", ma poitrine se gonfle fièrement, je papillonne avec mes sourcils et avec une pointe de détachement qui sied à l'endroit, je réponds "oui".
"Je ne vous trouve pas dans notre fichier. Quel était votre précédent achat Monsieur ?" me dit-elle.
"Un bracelet dans la boutique joaillerie, à côté" (précision : avenue Montaigne, deux boutiques -en photo pour illustrer mon billet- sont contiguës ; l'une pour la maroquinerie, l'autre pour la joaillerie)
"Ah mais Monsieur, ça n'a rien à voir ! Les fichiers sont différents."
Alors qu'on peut qualifier le marketing direct de technique ancienne, après deux décennies d'investissement dans les outils de CRM, un des fleurons du luxe français (1,8 milliard d'euros de CA) traite encore ses clients des boutiques comme un commerçant traditionnel qui n'aurait pas encore compris les bénéfices d'avoir un fichier client centralisé (exemple : mon épouse reçoit à chaque saison 3 mailings identiques de Gérard Darel, provenant de 3 boutiques différentes).
Sans fichier commun, pas de score client, pas de segmentation, pas d'historisation cohérente, pas de sollicitation pertinente et surtout pas de reconnaissance du client en point de vente ou à distance (CHANEL ne fait pas de vente à distance sur son site Internet).
Sur le site de CHANEL, vous pouvez vous inscrire pour recevoir "régulièrement par courrier électronique les informations beauté de CHANEL." (je cite).
Sur le site CHANEL News, vous pouvez recevoir "l'actualité de CHANEL news".
Sur Facebook, vous pouvez rejoindre les 5 millions de fans de la marque et sur Twitter les 214000 abonnés au fil.
J'imagine donc qu'il y a un fichier par point de vente, deux fichiers des abonnés à ces newsletters, une personne (ou un prestataire) pour s'occuper de Facebook et peut-être même un autre pour Twitter.
D'ailleurs, j'observe que lorsqu'on s'inscrit à la newsletter du site, on vous demande de sélectionner un sujet qui vous intéresse particulièrement parmi les trois suivants : Parfum, Maquillage ou Soin. Comme si le marketing direct n'était réservé qu'aux achats d'un certain type. A moins que le (ou la) chef de produit en charge de cette gamme ait réussi à convaincre certaines personnes de se faire son petit fichier à lui.
Si vous êtes client Solaires, Prêt-à-porter, Horlogerie, Sacs, Chaussures - Accessoires (bijoux, foulards, cravates) ou Joaillerie (je cite la nomenclature du site), passez votre chemin.
Le cloisonnement des services et des canaux, l'absence d'investissement dans les bases de données sont les signes de l'absence de marketing client, et il faut une certaine dose d'inconscience ou de méconnaissance pour faire de tels choix (ou assumer leur absence).
CHANEL n'a donc aucune chance de connaitre ses clients, de les reconnaître. Comme si la prestigieuse maison continuait à faire du bon vieux marketing de masse (publicité avec des vedettes) et ignorait qu'un trésor se cache dans toutes les données client (lire mon billet de tendances 2012 "le client sera Big data").
Imaginez un instant la force que peut avoir une marque comme celle-là lorsqu'elle s'adresse à vous, lorsqu'elle montre qu'elle vous connait. Imaginez la force de cette marque qui vous dirait "vous connaissez les produits de beauté, découvrez le reste de notre gamme".
Et pendant ce temps, SEPHORA, le très malin distributeur, équipe ses vendeuses d'un iPod relié à la base de données des 8 millions de clientes et s'adresse aux clientes et clients de CHANEL mieux que CHANEL.
Je note que SEPHORA est une filiale de LVMH, tout comme Christian Dior. Je note aussi, selon le classement NPD, que le parfum J'adore de DIOR est passé devant CHANEL N°5 en 2011, mais vous me direz peut-être, "ça n'a rien à voir !".
J'ajoute, que non content de dilapider son capital client, CHANEL laisse son directeur artistique Karl Lagerfeld dilapider le capital de marque (par ricochet) en photographiant Zahia, l'ex call girl, aussi décérébrée que vulgaire, avant la présentation de sa collection de lingerie. Mais vous me direz aussi : "ça n'a rien à voir !".
Billet de la série Irritant écrit par Thierry Spencer du Sens du client, le blog des professionnels de la relation client et du marketing client qui n'a rien à voir.
4 commentaires:
Bien vu !
Mais qui peut bien être le vrai client CHANEL? Celui qui veut être reconnu par son profil web ou celui qui est connu dans chaque magasin où il entre?
Un billet trés instructif et bien vu
Juste pour info., la source principale de revenus de Chanel n'est pas le client "CRMisé" mais plutôt la cliente fidèle dépenssant largement plus que la cliente Séphora qui achète 3 rouges à lèvres et 2 flacons de parfums par an. Pas besoin de CRM quand on connait les "bons clients" personnellement ;)
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