Les clients ont faim de conversation, mais ils ne sont pas égaux face à l’expression en ligne, tout comme les entreprises et les marques face aux conversations qui enrichissent chaque jour Internet. Les marques, peu informées ou ayant peu conscience de l’enjeu stratégique, oscillent entre mépris, maladresse et maîtrise des réseaux sociaux. La période que nous vivons actuellement est comparable à celle que nous avons connu dans les année 1999-2001 : à l’époque on prétendait qu’il fallait de toute urgence « faire un site Internet ». Aujourd’hui, il « faut être sur les réseaux sociaux » et les prétextes sont nombreux. Les prestataires et autres sorciers du social marketing vont vous parler des outils ou des « coups marketing » avant de vous parler de stratégie et de besoin du client.

Alors que les médias sociaux révolutionnent la relation entre marques et consommateurs dans ce Nouvel âge de la relation client, je me suis demandé selon quels critères une marque devait investir ces nouveaux canaux.
J’ai trouvé 7 critères, et si Napoléon illustre mon billet, c’est bien pour illustrer mon point de vue qui est que cette décision relève de la stratégie et mérite un peu de réflexion.

  1. La culture. Premier sujet d’importance : la culture de l’entreprise. Il est plus facile pour une entreprise née dans les dix dernières années (comme Zappos) et opérant principalement en ligne de pratiquer la conversation avec ses clients, d’être ouvert au dialogue et à l’échange avec ses clients, que pour des entreprises plus anciennes comme BNP Paribas ou la SNCF faites de briques et de mortier. De la même manière toutes les marques n’ont pas la même orientation naturelle, et la moyenne d’âge du management peut handicaper le passage à une présence sur les médias sociaux. Il existe une génération de managers qui a appris à diriger -souvent avec succès- sans échanger avec le client final. Rappelez-vous de l’épisode de la cliente qui a fait plier Marks et Spencer sur Facebook et imaginez si le Président de l’époque -proche de l’âge de la retraite- avait été sensible aux réseaux en ligne. J’ajoute que si j’ai pris les exemples de la SNCF et de BNP Paribas, c’est justement parce que ces deux marques font de réels efforts pour faire évoluer leur culture : la SNCF avec son espace de dialogue, son community management et BNP Paribas avec son compte SAV sur Twitter.
  2. Le positionnement. On peut être très fort en marketing client et peu sensible aux médias sociaux : c’est un choix. Prenons l’exemple d’Apple qui pour moi a le sens du client dans sa façon de créer ses produits, de les rendre plus familiers, plus simples et meilleurs. Pour autant, Apple n’est pas très présent sur les médias sociaux et Ping, son propre réseau social est une initiative destinée à être le « lieu de la conversation » vs un effort pour dialoguer avec ses clients. DELL aurait bien gardé sa posture de grande marque distante jusqu’à ce qu’une poignée d’internautes ne les pousse à faire participer le client dans la co-création (cf mon billet). Coca Cola, marque emblématique, a fait très tôt des choix stratégiques sur les médias sociaux avec succès (regardez cette présentation éloquente), alors que beaucoup de marques se trouvent précipitées dans l’arène sans l’avoir calculé. L’impératif de transparence qu’impose Internet oblige les marques à revoir précisément leur positionnement et affirmer leur posture, quelle qu’elle soit.
  3. La notoriété. Pour une marque connue du grand public, il y a une espèce d’évidence à assurer une présence sur les médias sociaux. Les investissements en communication, l’exposition de la marque dont la notoriété est la résultante, suscitent des conversations. Qu’on le veuille ou non dans ce cas, comme le disait le Clue Train Manifesto, on est l’objet de la conversation. C’est le cas des grandes marques de luxe qui font parler d’elles. Pour autant, doivent elles entrer dans la conversation, doivent elles se doter d’outils web 2.0 ? Leur image peut-elle s’accommoder d’un environnement qu’elles ne maîtrisent pas ? Chanel ne permet pas à n »importe quel distributeur de le vendre grâce à une charte très stricte (cf l’actualité chez Marionnaud cette semaine et le retrait des produits), pourquoi serait-elle présente en ligne pour dialoguer ? La grande consommation, quant à elle, découvre le visage de ses clients et leur besoin de reconnaissance. Nutella par exemple, ainsi que les marques du groupe Ferrero totalisent 22 millions de fans sur Facebook, le soft drink Oasis est au delà des 1,5 millions de fans.
  4. Le volume de clients. Internet étant devenu un média de masse, le volume de clients d’une marque peut l’obliger à s’intéresser aux médias sociaux car ses clients y sont déjà et les médias sociaux sont une occasion de contact enrichi exceptionnel entre eux (le crowd sourcing), avant même que l’entreprise n’entre dans la conversation. L’enjeu pour ces grandes marques sera de gérer leur présence (et leur réputation) sur la planête, alors que 20 millions de gens se déclarent chaque jour comme « fans » d’une page sur Facebook (étude DDB) et certainement tout autant rédigent des avis consommateurs. Le grand volume de clients est donc un critère essentiel et cette dimension précipite des marques qui jusqu’alors n’entretenaient aucun rapport avec leurs clients. D’un autre côté, il est plus facile de se lancer du jour au lendemain dans le web 2.0 quand on a peu de clients et une organisation assez agile pour y faire face…
  5. La fréquence de contact. Inutile de préciser qu’il y a une différence essentielle entre la RATP et les cuisines Mobalpa, entre la MAAF et Nokia. L’exposition à la marque, la fréquence des rapports entre un client et son fournisseur sont des critères importants qui favorisent l’attachement et alimentent la conversation. Avec une utilisation quotidienne d’un produit ou d’un service, le client a forcément plus de sujets, plus de questions à propos de la marque. Le client voudra plus facilement prolonger son expérience en ligne, échanger avec d’autres clients et améliorer tout simplement son quotidien. Quoi de mieux que les médias sociaux dans leur aspect le plus utile au client pour renforcer le lien et améliorer le service client ? On pensera alors aux blogs, aux wiki et aux espaces de dialogue. Regardons l’épisode récent du site « incidents-RATP » sur lequel les usagers s’entraident à l’initiative d’un internaute et que la RATP vient de menacer. N’aurait-il pas fallu faire équipe avec le créateur de ce site plutôt que s’y opposer ?
  6. Le niveau d’expérience. Le client s’investit différemment dans ses relations avec les marques. La première raison est le niveau d’expérience, d’immersion, de connexion. Le budget mensuel pour l’électricité est égal à celui de l’abonnement à un opérateur mobile, mais l’expérience des services d’un opérateur est plus forte et pousse le client a vouloir converser avec une marque, chercher des solutions en ligne, enrichir son expérience. Il y a un monde entre EDF et Orange, comme entre un constructeur automobile et une marque d’ascenseur. En faisant vivre au client une expérience riche et intense on accroît sa probabilité de chercher à se rapprocher de la marque.
  7. L’intensité de la relation client. Ce critère vital pourrait aussi être qualifié d’affinité avec la marque sous un angle publicitaire. Cette intensité, cette proximité entre une marque et ses clients est la base de la création de toute communauté. Pour citer un raccourci drolatique de mon ami Pierre Volle, avec qui j’ai échangé sur ces critères : « il y a une vraie différence entre Harley Davidson et Harpic WC ». Et pourtant, ce sont deux produits manufacturés qui, sur le papier, n’ont rien de différent. Tous les produits ne se prêtent pas à la conversation, au dialogue avec le client, n’ont pas d’aspérité pour les médias sociaux. Cette intensité ne se décrète pas, elle est le résultat d’un positionnement d’origine de la marque, d’un choix stratégique plus ancien. Prenez l’exemple du changement de logo de GAP qui enflamme la toile et précipite l’enseigne américaine dans la tourmente et la conversation. Conclusion : GAP a sous-estimé son potentiel de « talkabilité » (capacité à faire parler de soi) et aurait du faire participer ses clients en amont. Quelqu’un s’est-il soucié du nouveau -et médiocre- logo des mousquetaires Intermarché ? Pour reprendre l’exemple de Harley Davidson, on pourrait dire que la marque est si forte dans l’esprit de ses clients, les communautés sont si solides et naturelles (les fameux chapters) que le web n’est qu’un accessoire et les médias sociaux qu’un prolongement naturel. Intermarché, qui n’est pas connu pour l’intensité de sa relation client, a astucieusement créé un groupe sur Facebook à propos des bébés et y rencontre un beau succès. Une bonne façon d’investir les médias sociaux.
Ces critères stratégiques me font finalement penser à ceux qu’on appliquait dans les années 70 à 90 et aux réflexions que je partageais avec mon mentor Jean-Louis Ferry à propos des clubs dans le marketing direct. Pour faire un club de clientèle, il fallait un produit ou un service qui s’y prête, une relation directe établie avec ses clients, une capacité à se démarquer sur un marché, les moyens d’héberger et de gérer des données (ce qui donnait un avantage aux compagnies aériennes et aux vépécistes) mais surtout la volonté d’entretenir une relation avec ses clients.
Aujourd’hui, avec Internet, il est devenu plus facile de réunir ses clients, les outils de dialogue sont 100 fois plus puissants, les clients s’expriment déjà partout sur la toile et n’attendent pas après la marque pour se réunir. Mais les mêmes questions stratégiques demeurent. Ai-je la volonté ou le besoin d’entretenir une relation avec mes clients ? A quel sujet ? Ma marque est-elle légitime ? Mon management est-il prêt à laisser entrer le client dans l’entreprise ? Suis-je capable de soutenir l’effort dans la durée ? Quel profit vais-je en tirer ? Suis-je prêt à faire évoluer mon organisation pour investir les médias sociaux ?

Ces réflexions sont issues de deux conférences faites récemment, l’une à l’UDA, l’autre à l’AMARC, ainsi que d’un prochain Comptoir des blogueurs et je suis heureux de vous en faire profiter.

Billet écrit par Thierry Spencer du Sens du client, le blog des professionnels du marketing client et de la relation client.

Marketing client – Sens du client – CRM – Relation client – Culture client – Expérience client