
Deux informations dans l'actualité éclaireront mon billet :
- les résultats 2008 du TOEFL (« Test Of English as a Foreign Language ») viennent d'être publiés et placent les étudiants français en très mauvaise position en Europe dans la maîtrise de la langue anglaise, juste devant les italiens et les grecs bons derniers (ajoutons mon billet sur les touristes français pour noircir le tableau). On peut donc penser que les français ne comprennent pas toutes les signatures de marque.
- la DGLF (Délégation générale à la langue française et aux langues de France) édite son guide semestriel "Vous pouvez le dire en français". On y apprend à dire "arrosage" plutôt que "spamming", "fouineur" plutôt que "hacker". Le combat pour la défense de la langue française continue, comme le rappelle le site Rue89 !
Ce qui m'intéresse aujourd'hui, c'est l'usage que font les marques de la langue anglaise dans notre pays. Moi qui ait entendu des clients dire TOPIRUSSE en lisant l'enseigne de distribution de jouets américaine Toys R Us et commander un ZUP en lieu et place d'un Seven Up, je suis assez réservé sur l'emploi de la langue de Shakespeare pour se faire comprendre des clients, surtout dans une signature de marque.
On peut distinguer tout d'abord les marques opérant sur le marché mondial avec un positionnement unique. Elles ne jugent pas utile de s'adapter en français tant elles sont fortes. C'est le cas de NOKIA "connecting people", NIKE et son "Just do it". Le précurseur étant Benetton en 1982 et sa signature "United colors of Benetton" et le plus subtil Nespresso et son slogan "What else ?" légitimé par le fait qu'il s'agit d'une réplique de George Clooney, acteur américain sous-titré dans les spots de publicité. Leur discrète signature "The art of espresso" étant traduite en français.
Personne ne s'émeut de l'utilisation de l'anglais lorsqu'elle a un sens et que les clients comprennent.
Souvenons-nous que, lors du lancement du slogan "Sense and simplicity" de Philips en 2004, le CSA s'était exprimé auprès du BVP à propos de la taille ridicule de la traduction dans les spots de télévision (sur le site, ce n'est toujours pas équivalent, voir la photo de ce billet). Je ne suis pas certain que cette signature en anglais soit bien comprise par les clients. Selon la Loi, les messages publicitaires "doivent faire l’objet d’une traduction en français aussi lisible, audible ou intelligible que la présentation en langue étrangère.".
Mc Donald's fait figure de bon élève en traduisant son "I'm Lovin' it" par "C'est tout ce que j'aime" (résultat d'un -très bon- mouvement stratégique mondial envoyant aux oubliettes le très mémorisé "Ca se passe comme ça chez Mc Donald's"), tout comme L'Oréal avec "Parce que je vous le valez bien", équivalent de "Because you're worth it". Voilà deux bons exemples d'entreprises internationales qui s'adaptent au marché français et tiennent un positionnement mondial.
On peut raisonnablement se demander ce qu'apporte dans certains cas l'utilisation de la langue anglaise à une signature de marque en France.
Quelles sont les justifications ?
- la cible plus éduquée comprendrait plus facilement l'anglais. C'est le cas du luxe ; citons par exemple Montblanc qui signe par "A story to tell". Les compagnies aériennes, du fait de leur clientèle cosmopolite ont une bonne raison d'utiliser l'anglais et d'indiquer l'équivalent français de façon plus modeste (c'est à dire sans respecter la Loi). Exemple Lufthansa et "There's no better way to fly" (en illustration de ce billet).
- la marque veut faire comprendre qu'elle est dans une catégorie supérieure (où l'on reparle de Nespresso) ou qu'elle a des ambitions mondiales (Novotel est passé de "Bienvenue chez vous" à "Designed for a natural living"). Dans le cas de cette chaine d'hotels, qu'en pensent les clients français ?
- la marque attribue -à tort ou à raison- à la langue anglaise des valeurs de symbole d'un monde plus moderne, connecté et sans frontières. On trouve dans cette catégorie les marques qui ciblent les jeunes. Je viens d'entendre à la télévision une publicité (aussi condamnable que celle de Philips) pour Sony Playstation qui signe oralement ses publicités "The game is just the start" sans équivalent français. Ajoutons Speedo "make waves", Rossignol "Pure mountain company", Adidas "Imposible is nothing" (à lui seul le secteur du sport a un "taux de pénétration" de l’anglais dans ses signatures et slogans depuis 2000 de 42% selon souslelogo.com), Diesel "For succesful living", l'ancienne signature "Oasis is good", Orange "Open" et Ray Ban "Never Hide". Celà expliquerait d'ailleurs le passage de "Chausse les rêves" à "Declaration of independence" pour la marque de chaussures Buggy.
Pourquoi utiliser l'anglais quand on se remémore des signatures réussies de marques étrangères comme celles de SEGA "C'est plus fort que toi" en 1992 ou Compaq "A suivre" (de 1988 à 1998) ? L'utilisation de l'anglais est-elle un effet de mode ou une conséquence de la mondialisation ?
- et parfois, pas de justification. On applique aveuglement une politique mondialisé : LG "Life's Good", Electrolux Arthur Martin "Thinking of you", Heineken "For a fresher world", Jameson "Not just Irish", Nikon "At the heart of the image" et Lavazza "The Real Italian espresso experience". Il semblerait que le secteur automobile soit en pointe dans le domaine : Volvo "For life", KIA "The power to surprise" (en illustration de ce billet, photo prise sur la lunette arrière de la voiture), Chrysler "Get real", Smart "Open your mind", Jeep "More to explore", Today Tomorrow Toyota, Land Rover "Go beyond", Ford "Feel the difference", Hyundaï "True quality matters". Ce qui me fait rire souvent, c'est la pitoyable et minuscule traduction suivant l'astérisque, qui fait plus penser à une obligation dont on s'acquitte plutôt qu'une volonté de se faire comprendre par le client.
En dehors de la langue anglaise, je note en outre une tendance à la différenciation par l'origine, justification à une signature ethnique : Volkswagen "Das auto", SEAT "Auto emocion". Certainement pour ceux qui ont pris allemand et espagnol en langue vivante 1 à l'école...
Toujours dans l'automobile, je ne comprends toujours pas Citroën et sa signature "Créative technologie", formule inversée à l'anglo-saxonne qui me fait penser à une réplique d'Asterix chez les bretons.
L'exemple qui m'a le plus frappé et qui m'a poussé à écrire ce billet reste Lipton, une marque alimentaire grand public qui a adopté la signature mondiale "Tea can do that" pour sa gamme de thé (chez Unilever) et un slogan "Drink positive" pour ses boissons (chez Pespico). J'imagine le client moyen français qui voit la marque de ses sachets de thé devenir ésotérique et ne comprend pas qu'une autre gamme ait un autre slogan sous prétexte que la boisson est froide. Traduite en français "Tout l'effet du thé" en France et "Le thé peut faire ça" au Canada, cette signature tend à devenir (depuis peu) équivalente en France, alors qu'elle est dominante au Québec.
Je voudrais finir par un exemple de mélange astucieux d'anglais et de français avec la marque Sofitel. Il y a bientôt dix ans, Sofitel lancait sa signature «Check into émotions», et aujourd'hui adopte une formule qui garde le côté "so chic" à la française pour des anglais et assez comprehénsible pour des français : "Life is magnifique".
Selon Jean-Luc Gronner du site Souslelogo (qui m'a apporté la quasi totalité du contenu de ce billet) "On constate une montée de l’anglais qui reste toutefois limitée en proportion, sans doute très en dessous si on pouvait la comparer avec nos voisins européens non anglophones (Allemagne, Espagne, Italie). Sur la totalité de la base de Souslelogo.com, la pénétration de l’anglais est de 7,9%. Si l’on ne prend que signatures et claims depuis 2000 (inclus), ce chiffre passe à 10,3% , si on ne prend que depuis 2005 (inclus), ce chiffre passe à…10,6%."
On peut déplorer l'usage de l'anglais dans les signatures de marque en France car elle a pour effet sur la population qui ne maitrise pas cette langue de l'éloigner et parfois de l'exclure. J'aime quand on joue avec la langue et avec les mots mais je pense qu'avoir le sens du client, c'est au moins communiquer avec lui dans sa langue maternelle. De ce point de vue, la rigueur des québécois dans leurs lois et l'habitude dans l'usage sont exemplaires. La Loi canadienne dit : "L'affichage public et la publicité commerciale doivent se faire en français. Ils peuvent également être faits à la fois en français et dans une autre langue pourvu que le français y figure de façon nettement prédominante."
Billet écrit par Thierry Spencer du blog Sens du client.
Lire aussi le billet de 2007 du blog de Christophe Courtois qui a la dent encore plus dure que la mienne à ce sujet.
3 commentaires:
Faut il donc être english fluent actually pour être apprécié like consumer oriented ? Who knows ? Notre belle langue, si riche imagée, colorée, nuancée n'y suffit plus. Vous m'en voyez fort marrie, dévoué ami.
Vraiment, vous ne voyez pas la raison derrière "LG Life is Good" ??
L'anglais a la grande chance d'être une langue qui peut former des phrases courtes, impactantes, contrairement au français qui demande souvent beaucoup plus de mots.
Ce billet n'est clairement pas objectif - il y a beaucoup de raisons pour conserver une tagline en anglais plutôt que de la traduire, vous ne souhaitez juste pas, par idéologie, les reconnaître.
Il y a aussi des raisons, pour certaines marques et certaines targets, de traduire / convertir.
Mais sûrement vous êtes au courant que les marques (surtout les grosses) aiment à tester, tester et retester toutes leurs décisions marketing, et que laisser une tagline en anglais est souvent une décision mûrement réfléchie et pour laquelle on a testé que la cible choisie la comprenait bien.
Merci pour votre commentaire. Si j'admets qu'il peut y avoir une certaine pertinence à trouver une signature en langue anglaise dans certains cas, pour certaines "targets" comme vous dites (autrement dit des cibles), je ne suis pas d'accord avec vous sur les choix réfléchis des marques. Je pense même que les signatures de marque en anglais (et même en allemand) en France participent à la posture d'indifférence ou celle de défiance des consommateurs, à l'éloignement progressif entre les marques et les consommateurs. Comment peut-on exprimer clairement un positionnement dans une langue étrangère ? Comment peut-on espérer gagner la confiance, instaurer une relation de proximité avec des clients dans ces conditions ? C'est mon point de vue subjectif comme vous dites, mon idéologie.
Prenons l'exemple de McDonald's par exemple, dont j'admire le positionnement. Comment se fait-il qu'ils traduisent en français leur signature ?
Le pire dans les signatures en langue anglaise dans certains cas, c'est qu'elles sont conçues pour un usage mondial par des marketers qui pensent "global" et qu'elles finissent par ne plus rien signifier du tout.
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