Jeudi prochain la FNAC lance sa nouvelle carte d’adhérent ONE. Une petite révolution dans le monde de la distribution et un sujet qui semble déjà déchaîner les passions depuis un mois -période de lancement du test- si j’en crois le nombre de requêtes sur mon blog et les commentaires de mon précédent billet « la FNAC est-elle encore un club ? »

De quoi s’agit-il ?

La carte adhérent ONE est lancée le 14 mai prochain en France, elle serait attribuée d’office à une sélection d’adhérents FNAC sur des critères de montant d’achat cumulé sur les trois dernières années (8000 euros) ou de fréquence (80 achats). Elle concernerait 40000 personnes d’après mes diverses sources (de sympathiques vendeurs briefés, internautes ou clients de plusieurs magasins au cours de ma longue enquête), soit plus de 2% des adhérents (la FNAC en compte 2 millions au total).

Ses avantages :

– caisse dédiée, coupe file et comptoir réservé au service adhésion
– numéro de téléphone et rubrique du site dédiés
– traitement prioritaire SAV et réservations de produits
– avantages billeterie et autres

Quel objectif poursuit la FNAC dans le cadre de son programme interne « 100% révolution client » (une évolution du « 100% client » lancé par Denis Olivennes, lire mon billet 100% client, 5% de rentabilité, 10% de croissance : c’est le casse-tête de la FNAC ») ?

Un bel objectif marketing :

Reconnaitre ses plus fidèles clients parmi ses adhérents, les récompenser par des avantages qui tiennent plus du relationnel que du transactionnel. Un bien bel objectif, construit sur le postulat qui consiste à ne plus de perdre de la marge avec des points ou des remises mais bien de traiter différemment les clients en s’appuyant sur des services et un traitement distincts.

Sur le papier, en tant que marketer, je dirais que ce véritable programme de Gestion de la relation client (CRM) est vraiment intéressant. Tous les distributeurs rêvent de connaitre leurs clients aussi bien d’une part et de pouvoir traiter un segment de clients fidèles avec le plus d’égards possibles, sans céder à la surenchère de promotions d’autre part. C’est la voie la plus évidente théoriquement mais aussi la plus difficile d’un point de vue pratique dans la distribution, là où les clients se côtoient.

Des incohérences manifestes

Le premier problème pour la FNAC est la cohérence par rapport à son positionnement et ses valeurs (lire mon billet La Fnac et kermit la grenouille).

Tout d’abord, la « Fédération Nationale d’Achats » de l’origine a été concue comme un club, à la manière de la défunte coopérative CAMIF, dans l’esprit du mouvement mutualiste et des valeurs de l’économie sociale. On pourrait donc dire qu’il s’agit d’une cohérence de ce point de vue, la carte ONE étant le club des VIP dans le club des adhérents, lui-même dans le club des acheteurs (sic).

Ensuite, « l’agitateur » qu’est la FNAC a été créé en 1954 par Max Théret et André Essel, tous les deux hommes de gauche, anciens militants trotskistes. André Essel voulait « changer le monde » (c’est le titre de ses mémoires) et tous les deux pensaient que « l’action pour le consommateur complète l’action politique« . La FNAC a longtemps été très imprégnée de cet esprit consumériste, son modèle de management de l’origine s’inspirant même de l’autogestion !

Les années passent, la CAMIF est morte faute de ne pas être restée fidèle à ses valeurs et de ne pas avoir su les rendre modernes et compétitives, la FNAC est devenue un distributeur comme les autres, fleuron du groupe PPR. Si elle souffre sur ses marchés (disques, DVD, livres, informatique, produits techniques), elle se développe et enchante encore des millions de clients.

De nombreuses interrogations

Cette nouvelle carte, qui provoque des réactions chez les plus anciens employés et des questions chez les adhérents comme moi (depuis 1984), suscite plusieurs interrogations :

– il semble que l’esprit consumériste de l’époque ne soit pas éteint et que cette carte ne trouve pas écho chez les plus farouches militants, simples clients ou employés qui sont très attachés à des valeurs qu’ils ont cru comprendre et intégrer à leur manière (sous entendu « la culture pour tous », « la défense du consommateur », « l’union fait la force »…).

– qu’advient-il des 1950000 autres adhérents ? Moi qui me plaignait dans mon billet à propos de l’anniversaire du client de ne pas recevoir de message de la FNAC (lire mon billet L’anniversaire du client) en tant qu’adhérent et qui doutait des avantages réels de ce club (lire mon billet « la FNAC est-elle encore un club ? »), j’ai écrit à la FNAC via le site pour leur demander de me donner les conditions d’adhésion à la carte ONE en tant qu’adhérent. A ce jour, pas de réponse. En magasin, il semblerait que le discours officiel ne soit pas tout à fait au point avant le lancement.

– comme marketer je m’interroge sur le lancemenet d’une telle carte dans ces conditions. On attribue d’office à 40000 personnes la carte et elle est vraiment formidable pour eux, c’est un fait. La publicité qui en sera faite en magasin à partir de la semaine prochaine, entre les adhérents, sur internet ne fera qu’attiser la convoitise des autres adhérents et leur faire se poser la question de l’intérêt de l’adhésion de base. Car la création des premières classes dans le train rend tout à coup les sièges des secondes moins confortables. Si on comprend le fait d’être « upgradé » dans une compagnie aérienne (cf le club des 2000 d’Air France), d’avoir la carte Or de France Loisirs (basée sur la longévité), d’avoir une carte bancaire Premier, Infinite Centurion, Platinum (moyennant une cotisation supérieure et des revenus élevés), les adhérents peuvent s’interroger sur la carte FNAC ONE. D’autant que le courier qu’ils viennent de recevoir de leur magasin cette semaine commence par la phrase : « Vous faites partie depuis X ans de nos adhérents les plus fidèles et il est naturel pour mon équipe et moi-même de vous témoigner notre reconnaissance », laissant penser que l’attribution est faite sur l’ancienneté. Je veux dire par là que les critères ne sont pas transparents pour les détenteurs et pour les non-détenteurs. Il faut expliquer les conditions, de façon à faire comprendre aux non éligibles le parcours qu’il leur reste à faire, ou bien faire payer la carte à un tarif très élevé aux adhérents lambda. Et qu’adviendra t’il aux cartes ONE dans un an, vont-ils passer de « passionnément » à « beaucoup » comme chez Virgin (ce qui ne manque pas de m’énerver) ? Carte ONE un jour, carte ONE toujours ?

Le chemin le plus évident mais aussi le plus difficile serait de renforcer les avantages pour les adhérents existants, élever le niveau de service général (lire mon billet à propos des sacs plastiques de la FNAC et de ses messages mal ciblés), c’est à dire rendre pertinente et encore plus forte la FNAC.

Bref, je suis perplexe comme professionnel et irrité comme adhérent.

Publié par Thierry SpencerLe blog Sensduclient.com

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